24 janvier 2008

PRIVATISATION DE L'ENSEIGNEMENT

À tous ceux qui voudraient gérer la crise

Dénonciation de la bureaucratie

http://mai68.org/ag/1297.htm
http://cronstadt.org/ag/1297.htm
http://kalachnikov.org/ag/1297.htm
http://paris.indymedia.org/article.php3?id_article=93869

[Présentation par do : excellente dénonciation de la bureaucratie dans les luttes en général, notamment "étudiantes" et plus particulièrement dans la lutte contre la privatisation de l'ensemble de l'éducation nationale.]

À tous ceux qui voudraient gérer la crise

Le mouvement étudiant de l'automne 2007, dit "mouvement anti-LRU", s'est développé à partir du prétexte de l'opposition à une loi récemment votée. Les blocages et occupations d'universités furent dès le départ envisagés comme une chose naturelle, un moyen de lutter et de vivre ensemble. Cependant, lors de l'occupation, le véritable conflit opposa diverses manières d'envisager la nature de cette même occupation. Dès lors la question centrale semblait pouvoir se résumer ainsi : étions-nous en présence d'une crise ou, au contraire, de la suspension momentanée de celle-ci ?

1. L'occupation n'est pas la crise. C'est la vie quotidienne, dans les conditions qui nous sont faites, qui constitue une crise permanente dans un monde où l'état d'exception tend à devenir la norme.

2. Ceux qui, dans l'occupation, se sont sentis plus responsables que d'autres, en déclarant vouloir "gérer la crise", n'ont fait qu'exprimer la vieille peur, autrefois exclusivement associée aux directions syndicales mais aujourd’hui étendue à tout apprenti-gestionnaire, de voir déborder un mouvement qu'ils ne contrôlent pas. En cela ils se sont montrés tristement prévisibles.

2 bis. La priorité de l’apprenti-gestionnaire est de donner une bonne image du mouvement. Peu importe qu’il se dise révolutionnaire ou réformiste : il est avant tout un individu responsable, terrifié à l’idée que quelque chose advienne et justifiant sa peur par l’attente du "bon moment" – qui ne vient jamais.

Il pense sincèrement que l’on peut améliorer ce monde et sa capacité à s’illusionner n’a d’égale que son incapacité à élaborer de nouvelles relations entre les corps en présence, à vivre.

Le retour à la normale ne l’effraie pas car il le vit comme une chose inévitable. Il reprend ses habitudes, ceux qui partageaient sa passivité sont venus élargir son "cercle d’amis", " le tout sous l’infect signe du privé."

3. La condamnation des "dégradations" (tags, amphithéâtres non nettoyés après une beuverie...) fut une constante du mouvement. Ceux qui s'en sont plaints étaient ceux-là mêmes qui considéraient que l’occupation n'est qu'une parenthèse dans la vie et non la vie elle-même se poursuivant sous une autre forme, se libérant.

Incapables d’être réellement présents au sein de cette occupation, ils se contentèrent de la contempler, en spectateurs impuissants, en attendant qu'elle s'achève. "Mais dans le fond, leur désir frustré d’en être n’aura échappé à personne."

4. Le terme de "lutte" perd dès lors tout son sens pour finir par désigner une sorte d'ascétisme militant mêlé d'idéalisme abstrait.

5. Ceux qui acceptent le rôle du militant traditionnel ne font que se masquer l'évidence que tous les syndicats, sans exception, constituent la meilleure des polices.

6. Le rassemblement d'étudiants syndiqués et non-syndiqués sous la bannière du "comité de lutte" sert en réalité à masquer les agissements de ceux qu'animent la passion des enjeux de pouvoir et conséquemment de la manipulation. Les comportements les plus réactionnaires sont justifiés par l’improbable homogénéité de pensée qui serait censée constituer le fond commun de ce même comité. Nous assistons donc à la pacification des assemblées générales et de la vie de l'occupation sous prétexte que "nous sommes tous là pour la même chose : "lutter contre la LRU".

Les faits, à l'inverse, nous enseignent qu'une guerre a lieu à tout instant, et que de nombreuses positions s'y affrontent ; les unes souhaitant dépasser la simple contestation et ne se battant en aucun cas contre la "LRU" mais bien contre ce monde tandis que les autres s'engluent dans un réformisme qui a fait son temps.

6 bis. Que le simple fait de se réunir dans un comité de lutte, apparemment débarrassé de toute étiquette syndicale, ne suffise pas à créer une unité réelle, cela a été amplement prouvé par les tensions qui ne manquèrent pas de surgir de façon régulière. Tensions provoquées par le désir d'action autonome et d'auto-organisation de certaines personnes occupant effectivement les locaux. Ce désir, nié par les assemblées générales du comité de lutte qui prétendaient régir chaque aspect de la vie de l'occupation, s'explique à son tour par une opposition totale aux perspectives citoyennistes des apprentis-gestionnaires de crises.

7. Les tentatives de dépassement du mouvement étudiant traditionnel ainsi que les actions qui n'avaient pas été votées par le comité de lutte furent invariablement condamnées.

Le dénigrement fut l'arme favorite des apprentis-gestionnaires. Ils tentèrent ainsi d'isoler quelques individus gênants pour leur éphémère et douteuse "démocratie directe" : « Ils salissent les amphis », « Ils sont irresponsables », « Ils n'ont rien compris », « Ils boivent durant l'occupation », « Ils ne respectent pas l'assemblée générale », « Ils sabotent le mouvement », « Ils manipulent ».

De cette manière on retrouva, à l'intérieur du mouvement, ce qui devrait en être banni parce que haïssable : une police, la stigmatisation de ce que l'on considère comme menaçant ou échappant au processus de normalisation, l'auto-contrôle des individus généré par la peur de ne pas se conformer à cette norme.

En bref le bon vieux projet, à terme, de les laisser s'orienter seuls dans le parfait dispositif de neutralisation des paroles et des gestes que constituerait une occupation citoyenne.

8. Ce que le mouvement contenait de vérité a le plus souvent été mis à distance par l'action conjuguée des apprentis-gestionnaires et de ceux qui, pour éviter de prendre parti, se sont repliés dans la sphère de l'ironie. Le fait de considérer l'occupation comme un jeu sans conséquences, l'assemblée générale comme une instance décisionnelle, réservée au vote, au lieu de la dépasser en en faisant le lieu d'une parole libérée, de prendre les actions et les manifestations pour des sorties inoffensives hors des bâtiments occupés aura finalement contribué au fait que le mouvement ne devienne pas autre chose qu'un mouvement et se contente d'une tentative de répétition, d'imitation, du printemps 2006 et de son "mouvement anti-CPE".

9. Alors que la tentation de mimer le modèle du CPE reste très répandue, la nouveauté de ce mouvement est clairement apparue : le nouveau gouvernement tente d'anéantir les derniers foyers de résistance ; les forces de police débloquent les universités ; des professeurs et étudiants opposés à l’occupation n’hésitent plus à recourir à la violence ; des votes à "bulletin secret" sont organisés par l'administration ; nous sommes nombreux dans les assemblées générales et une poignée dans la rue ; "les médias n’ont pas seulement menti comme à leur habitude ; ils ont dit la vérité sur leur partialité."

L’objectif de cette offensive est d’anéantir les seuls moyens d’action efficace que constituent les différents blocages, notamment économiques, et de les remplacer par le cadre officiel manifestations-négociations duquel on ne pourra s’extraire sous peine de devenir un ennemi de la liberté, de la démocratie et du dialogue ; un terroriste.

Tout cela pour rappeler l’évidence qu’un mouvement responsable, citoyen, respectueux de l'administration universitaire et soucieux de son image est un mouvement mort-né. Aujourd’hui plus que jamais.

9 bis. Nous organiser matériellement afin d’être moins vulnérables aux attaques de la police et des "anti-bloqueurs" et afin de pouvoir empêcher les "référendums" organisés par les présidents d’universités ou leurs éventuelles conséquences négatives n’est pas une hypothèse à méditer mais la condition même d’un prochain mouvement.

Nous ne serons nombreux en manifestation et à l’occupation que lorsque nous aurons dépassé l’assemblée générale comme simple lieu de confrontation de diverses positions stériles dont le seul horizon est le "blocage" ou le "déblocage", les manifestations comme moyen de se compter et l’occupation comme lieu de "mobilisation" pour en faire un lieu de vie.

Les médias sont encore, pour certains, ces juges de l’image d’un mouvement devant lesquels nous devrions faire bonne figure. À rebours de la soumission et de l’auto-censure habituelles, un renversement du rapport de force peut s’opèrer : des textes imposés, par exemple sous la forme de communiqués de presse, suivis de représailles en cas de falsifications trop importantes.

Les syndicats appelant à l'arrêt du mouvement, souhaitant le "représenter" ou négocier, ne peuvent, quant à eux, faire l’objet d’aucun dialogue : l’UNEF a ainsi vu, dans certaines villes, plusieurs de ses locaux être saccagés ou repeints en jaune, les documents qu’ils contenaient ayant été brûlés ou dérobés.

10. Dans la nouvelle configuration des hostilités il est nécessaire de s'agréger en une force concrète capable d'élaborer des formes d'agitation inédites.

11. Les grèves, manifestations et occupations, pour devenir offensives, doivent être sauvages. La pratique du sabotage, dont le mouvement cheminot nous offre un exemple récent, peut être développée et approfondie. Le vol, la fraude, la conspiration et l'occupation permanente de lieux prennent tout leur sens lorsqu'ils deviennent des pratiques collectives.

Nous nous organisons, et tous les gestionnaires du monde ne suffiront pas à nous faire passer le goût de la joie que nous éprouvons à reprendre le contrôle de nos vies, pas plus que la sensation de vivre intensément que nous avons éprouvée ces dernières années et que nous brûlons de retrouver, chaque jour plus nombreux.

12. Novembre 2005. Printemps 2006. Gare du Nord. Elections présidentielles. Automne 2007. Villiers-le-Bel.

Les organisations sont toujours de trop là où l'on s'organise.

Janvier 2008



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