29 mai 2006

NÉPAL

LA GRIFFE DES LÉOPARDS ROUGES

http://mai68.org/ag/1006.htm
http://cronstadt.org/ag/1006.htm
http://kalachnikov.org/ag/1006.htm
http://www.chez.com/vlr/ag/1006.htm

In english here :
http://www.tehelka.com/story_main18.asp?filename=Ne060306after_victory_SR.asp

Or here if the link is broken : http://mai68.org/ag/1007.htm

    Pour ceux qui ne lisent pas l’Anglais et cherchent désespéramment dans Courrier international ou sur Arte un reportage sur la formidable révolution qui a lieu au Népal, j’ai traduit [Note de do : cette traduction est d'Himalove. merci à lui !] l’article de Amit Sengupta, paru dans la dernière livraison du magazine indien Tehelka :

LA GRIFFE DES LÉOPARDS ROUGES

    La nuit est emplie du parfum des mangues et des montagnes ; la Karnali chante les légendes sauvages de l’ouest du Népal. Un miracle, cette rivière… C’est peut-être la dernière parmi les 6000 torrents et fleuves à ne pas être emprisonnée par la soif de pouvoir des hommes.

    Les fleuves Gandak et Mahakali sont devenus des bêtes de somme, prisonnières de barrage, vendues par les Ranas de Katmandou au grand frère voisin, l’Inde.

    Les traités infâmes, signés avec la puissance indienne, ont laissé les sols du Népal sec et les peuples assoiffés.

    Les amis japonais ont construit ici au-dessus de la Karnali un pont suspendu comme un arc de Kyudo.

    De la forêt, près de la rivière blanche, surgissent des voix hautes comme des montagnes, qui dégringolent des rizières :

    « Loktantric Ganatantra, loktantric Ganatranta »

    Ce sont des enfants qui s’épuisent à crier les mots magiques " république ", " démocratie ", qui ont libéré le pays de 230 ans de sortilèges.

    Le village auquel les gamins appartiennent a pendant dix-neuf jours, en avril, bloqué les routes et crié les slogans populaires :

    « Paras goondas, rukh mein jhunda » (Paras truand, pendons-le à un arbre)

    « Gyan chor, desh chod » (Gyanendra voleur, quittes le pays !)

    Paras est le fils délinquant de l’autocrate Gyanendra ; leur effigie — un rat, un porc ou un chien crevés — sert aujourd’hui de ballon de foot à tous les enfants du Népal.

    Mais Gyanendra et Paras, "amateur du noble art surtout contre les femmes", ne sont pas d’humeur à quitter le royaume.

    Le roi demeure comme la branche sinueuse du banyan, collé au tronc d’arbre, caché derrière une armée de 90 000 Gurkhas, dirigé par le criminel de guerre, Pyar Jung Thapa…

    Avec le roi et son armée, toute une bourgeoisie et leurs chowkidars (vigiles) ont peur.

    Ceux qui ont loué les meilleurs de leurs enfants comme soldats ou esclaves, à des pays du Golfe, volé la force des rivières, prostitués la beauté des montagnes et démembré les statues du Bouddha ou de Shiva, vendus en petits morceaux à New York, Paris, Londres, Delhi, Pékin, craignent la colère des masses.

    Pour sauver leur peau, des mercenaires ont tué des braves gens, d’innocents intellectuels, des femmes, des enfants, et un nombre incroyable de militants du parti communiste...

    Afin d’effacer ces crimes, d’autres encore, avec l’aide de complices à l’étranger, ont détruit les institutions, censuré la presse, muselé les artistes…

    Ces gens-là ont instauré pendant plus d’un an une longue nuit des couteaux dont les lames sont encore figées dans le dos du peuple népalais !

    La Karnali roule des cadavres d’hommes, de femmes et d’enfants, lestés de pierres, sans nom ni visage.

    À minuit, nous la traversons, frissonnant. La nuit est d’encre, seule la couleur de la rivière éclaire la terre et le ciel.

    Un homme crépu en uniforme croise notre chemin puis disparaît dans les ténèbres.

    "Maopati", chuchote Guruji, notre chauffeur.

    Nous avons roulé près de 1000 Km, en 9 jours, à travers les régions qu’ils contrôlent, aussi sommes-nous habitués à leur présence.

    "Ils sont comme de fidèles léopards qui gambadent à nos côtés", sourit Guruji.

    Nous poursuivons encore plus à l’Ouest, dans les collines et forêts encore chaudes de l’empreinte de leurs combats.

    Carcasse de matériel, jerrycan, ferrailles, sacs de plastique phosphorescents décorant les manguiers jalonnent la route, souvent une piste mangée par la guerre et les pluies.

    Derrière des barbelés et des sacs de sable recouvert de filets, pour empêcher les "socket bomb" (grenades artisanales), de jeunes Gurkhas, en battle-dress, incrédules, nous regardent passer le doigt soudé sur la queue de détente de leurs M16.

    Nous franchissons la ligne et entrons en zone de guerre.

    Grand silence. Les obus de mortier ont redessiné la silhouette des arbres et vidé de présence humaine les blockhaus et les tranchées. Inquiétant. Tout semble attendre une prochaine conflagration. Même le vent a cessé de souffler.

    Nous ralentissons et arrêtons le véhicule.

    Tout peut arriver. "Ils" peuvent tirer et nous tuer. "Ils" n’ont confiance en personne. Nous pouvons être leur ennemi.

    Dans ces montagnes et jungles épaisses, les maopatis peuvent surgir à tout moment de tous côtés.

    "Même de dessous la terre" nous avait dit un officier Gurkha.

    La force des maopatis est leur connaissance du terrain ; ils compensent la faiblesse de leur armement par une utilisation maximale du relief, de la végétation, du climat et de quelque chose qui est, pour le soldat professionnel Gurkha, de l’ordre de l’invisible et du mystère.

    Parfois, ils attaquent l’armée là où elle semble la plus forte, autour des états-majors comme à Kapilavastu, en avril ; des vagues de 5000 à 6000 combattants, fortement armés, avaient submergé, un instant, la position.

    Comme à Tanzen où plusieurs divisions maopaties, dirigées par des amazones communistes — L’armée populaire de libération est constituée de 40% de femmes —, capturèrent la ville…

    Nous hésitons. La peur nous glace les tempes. Soudain, le faisceau d’une torche nous cloue au siège de la Jeep.

    « Qui êtes-vous ? Où allez-vous dans cette nuit noire ? »

    La voix est ferme et s’exprime en anglais.

    L’éblouissement nous empêche de discerner notre questionneur.

    « Sont-ils plusieurs ? »

    « Maopati ou gurkha ? »

    Guruji ne cherche pas à deviner et répond immédiatement dans la langue de Shakespeare "nous sommes des journalistes indiens".

    Par bonheur, cette nuit-là, les soldats rencontrés ne sont ni agressifs ni fébriles.

    Après de longues années de répression, le Népal est en train de recouvrir le sourire ; les dix-neuf jours d’une révolution non-violente, Jana Andolan, ont délivré les cœurs de l’empire de la haine.

    Les pluies, généreuses, de baisaki ont lavé le sang des buffles sacrifiés et les malédictions.

    L’empereur des hindous, né le 1er juin 2001, lors d’un massacre royal, est devenu la risée des enfants.

    Il ne reste que l’absence du monstre qui inquiète les parents.

    Va-t-il revenir à la tête de légions de thugs, réinstaller le dieu Yama (Divinité du panthéon hindou qui juge les morts), sur une montagne de cadavres, comme promis par les fascistes hindous indiens ?

    Le vieux Koirala et l’alliance des 7 partis politiques sauront-ils, cette fois-ci, ne pas trahir ?

    Les maopatis entreront-ils au gouvernement ?

    Demanderont-ils la saisie de la montagne d’or, appartenant au roi ?

    [Le roi est considéré comme un des hommes les plus riches du monde ; un paradoxe pour une nation classée parmi les dix dernières…]

    Comment réagira l’armée lorsque les maopatis sortiront de la jungle et défileront, en uniforme, sur les grandes avenues à Katmandou ?

    À Lazimpat, dans les ambassades, les Gurkhas et les Indiens fomentent-ils une annexion du royaume comme en 1975 au Sikkim…

    La vérité est que les maopatis suivent scrupuleusement le cessez-le-feu et contrôlent, sans arme ni bâton, 75% des 75 districts ; les soldats royaux ne gouvernent que ce qui est à portée immédiate de leurs fusils. C’est-à-dire peu de chose.

    En dépit de leur invisibilité, les maopatis ont créé une légende ; les léopards rouges sont craints et admirés même par leurs ennemis. Ils donnent leur vie généreusement pour la défense du pauvre des pauvres. Contre ce fait-là, aucune propagande gouvernementale ou indienne ne tient. Ils construisent des routes, des dispensaires, des ponts, des écoles, sans argent ni moyen.

    Et disposent d’une arme imparable pour combattre Gyanendra.

    Le roi lui-même et sa famille. L’histoire du Népal jusqu’à peu se résumait à la vie et aux frasques des maharadjas et maharanis, pour la plupart issus des ex-royaumes du sous-continent indien.

    La volonté de réduire l’histoire du Népal — complexe, composé de 60 ethnies, de plusieurs religions et d’un nombre incroyable de couleurs — aux alliances, mésalliances et potins mondains "de gypsies hindous, échappés du Rajasthan" s’est retournée contre la monarchie.

    Le massacre inexpliqué du 1er juin 2001 de toute la famille royale a ôté d’un coup toute légitimité et superbe à la dynastie des Shahs Dev.

    Une prise d’assaut du Palais Nayanhantini par les divisions maopatis n’aurait pu faire mieux.

    Le camarade Athak, secrétaire du district de Bardia, près de Nepalganj avoue : « Nous nous servons d’eux : nous les insultons, les roulons dans la fange, les exposons aux rires des gens ; ces féodaux stupides sont notre meilleure propagande. »

    Les maopatis n’écrivent pas seulement la légende et des fabliaux ; ils réécrivent l’histoire d’une nation, exhumant les noms de grands rebelles oubliés par les jeunes générations.

    La ville de Mahendranagar, à la frontière de l’Uttaranchal Pradesh, par exemple, a été débaptisée et renommée Bhimnagar ; du nom de Bhim Dutt Pant qui conduisit une armée de paysans dans les années 60 et qui fut exécuté par les mercenaires du roi Mahendra, père de Gyanendra.

    Krisna Dutt, fils de Bhim, membre du parti communiste (UML) reconnaît : « Les maopatis sont une force invisible partout à l’œuvre ; ils doivent participer au gouvernement parce que, sans eux, le Jana Andolan n’eut pas été possible. »

    De la vallée de Rolpa, berceau de la rébellion, à la frontière du Bihâr, dans le teraï, la griffe des léopards rouges barbouille le moindre muret :

    « Détruisons le criminel autocrate, meurtrier du roi ; créons la république populaire démocratique du Népal ! »

    « L’alliance des 7 partis politiques, le peuple et les maopatis sont les trois composantes du Jana Andolan, mais les maopatis sont, sans aucun conteste, la plus importante des forces », confirme l’avocat Gopal Sivakuti Chintan qui prévient la bourgeoisie dorée de Katmandou :

    « Les maoïstes doivent être intégrés dans le gouvernement intérimaire au plus vite ; la constitution de 1990 doit être abrogée, et une nouvelle ébauche, soumise aux votes d’une assemblée constituante ; le procès du roi doit être l’ordre du jour, ses biens confisqués… Les prisonniers politiques, relâchés et ceux qui ont commis des crimes contre le peuple, en particulier les officiers de la RNA, châtiés  ! Sinon le Népal connaîtra, dans les mois qui viennent, une seconde révolution… »

    Cependant la seconde révolution a déjà commencé.

    Des millions de crimes, enterrés par l’ancien régime, sortent de terre comme les lombrics après la pluie. Les rues, les places, les villes et les villages sont rebaptisés du nom des camarades, tombés au combat.

    Des enquêteurs publics bénévoles dressent la liste infinie des disparus, des torturés, des violées ; et commencent à interroger les soldats.

    Les statues, les monuments à la gloire des maharadjas, sont détruits ou couverts d’un voile.

    À Katmandou en face de Singh Darbar (le Parlement) est hissé le drapeau frappé de la faucille et du marteau ; et pas un policier en faction ne vient y toucher !

    De nouveaux poèmes et chansons, saluant la révolution et vilipendant l’ancien régime, apparaissent sur les ondes des radios.

    La télévision gouvernementale elle-même doit se familiariser avec la couleur rouge.

    Sous l’œil des vigiles d’ambassade, à Lazimpat, en plein jour, les peintres maopatis fleurissent les murs de longs et larges slogans, appelant à la révolution mondiale.

    [À noter qu'à l’ambassade de France, le vigile de garde porte un pistolet à la ceinture, chose qui n’existait pas, il y a quelques années.]

    À Pokhara, lors d’une réunion rassemblant des milliers de personnes, le camarade Karan, jeune secrétaire de District prévient :  « s'ils nous trahissent (entendez les partis politiques), nous n’épargnerons personne ! »

    L’affiche a été placardée, en plein jour, par des groupes d’écoliers de Nepalganj ; du temps du régime royal et de son couvre-feu, elle aurait été collée la nuit, sous les tirs des véhicules blindées qui sillonnaient les rues.

    L’affiche de couleur bleue salue la mémoire des 21 martyrs qui donnèrent leur vie, lors du Janan Andolan, la révolution dite non-violente de 2006.

    Un journaliste britannique, installé à Katmandou, agacé par leur omniprésence, s’était moqué, dans le Nepalî Times, de la manière dont les Népalais fabriquaient des héros.

    Les maopatis avaient répondu sèchement : « les martyrs sont les sentinelles de la mémoire ; ils disparaîtront lorsque justice sera faite ! »

    Les visages de ces gens simples, réduits à la dimension d’une photo d’identité, sont partout présents et nul ne s’avise à les arracher.

    Grands yeux ouverts, au milieu des gens, ils traquent leurs bourreaux parmi les flics et les Gurkhas qui, sans honte, osent encore patrouiller.

    Les écoliers qui ont collé l’affiche connaissent par cœur le nom de leurs assassins : Gyanendra et Paras Shah Dev, Pyar Jung Thapa, Tulsi Giri… Jusqu’au nom même de l’officier Durja Kumar Raï, qui tira à bout portant et tua un d’entre eux à Katmandou…

    Le SSP Durja Kumar Raï est un des rares policiers assassins à avoir été suspendu par le gouvernement Koirala.

    Ordre avait été donné aux forces armées et policiers de tirer dans les jambes des manifestants.

    Yamlal du village de Guleria, fermier dans le district de Bardia, malgré son genou brisé par une balle, est prêt à retourner manifester à Nepalganj  :

    « Si les politiques nous trahissent, je redescends dans la rue. Qu’ils me fusillent ! Je mourrais pour la nation. Mes enfants verront une république au Népal et plus jamais de roi ! »

    Lorsque nous traversons en voiture la colonie dalit de Kajura, dans le district de Bardia, nous sommes poursuivis par 3 enfants en haillons, aux visages émaciés :

    « N’oubliez pas notre mère, elle a été tuée par le roi ! »

    Setu, 26 ans, leur mère, avait marché 10 Km pour rejoindre le cortège qui se rendait à Nepalganj.

    Sushma, une voisine, se souvient : « Nous étions cent mille sur la route ; une bombe au gaz toucha Situ à la tempe ; elle mourut sur le coup. »

    « Notre maman était courageuse ; elle n’avait pas peur du roi et de ses Gurkhas »

    Dans leur naïveté et dignité, les trois enfants racontent l’incroyable vaillance du peuple népalais qui, démuni, affamé, sans arme, s’est levé contre une monarchie soutenue par les pays les plus puissants au monde.

    Setu est morte près du Mémorial Gyanendra chowk ; des personnes de Bhimnagar, toutes castes confondues, folles de colère après l’assassinat, ont détruit complètement l’édifice ; sur les ruines du monument royal a été planté un drapeau rouge et une pancarte avec le nom de "l’intouchable", Shahid Setu Bika Chowk.

    Les "léopards rouges", grâce au sacrifice de gens comme Setu, commencent à sortir de la jungle, mais restent sur leur garde. Les gouvernements népalais et indien ont déchiré les avis de recherche les concernant. Officiellement, à l’exception des Américains, le monde ne taxe plus les maopatis du label infâmant de "terroriste".

    Comment les léopards rouges apprécient-ils cette nouvelle liberté ?

    Le camarade Ramil Ram, 25 ans, profite de cette occasion pour expliquer "au monde libre" :

    « Si nous pouvons parler, marcher, nous exprimer librement, aujourd’hui, c’est grâce au peuple népalais. Tant que nous sommes protégés par lui et qu’il est fort, nous n’avons rien à craindre. Toutefois, nous savons que des forces sont à l’œuvre, à Katmandou, Delhi, Londres, Washington, pour nous détruire… Que les gens qui m’écoutent, sache ! Ce sont eux, les impérialistes et leurs valets féodaux, au Népal, qui ont déclenché la guerre civile. Les journaux, les radios, les télés et Internet disent que nous serions responsables de la mort de 12 000 personnes !

    « Or, l’armée et la police ont tué, en 10 ans, 5000 maoïstes dont nous pouvons dévoiler les identités et 7000 citoyens népalais, sympathisants communistes ou non. 2000 maoïstes sont encore emprisonnés, 1400 cadres communistes et sympathisants sot portés disparus… Les associations des Droits de l’Homme qui travaillent avec l’ONU le savent mais ne peuvent prendre parti… Souvenez-vous deux semaines après le coup d'État militaire du 1er février 2005, la secrétaire générale d’Amnesty International, Irène Khan, pour l’occasion messagère de l’ONU, avait rencontré le tyran Gyanendra, lui accordant une étrange reconnaissance politique. »

    Ram a raison ; lors des 14 mois du régime royal, toutes les dénonciations des crimes perpétrés par la Royal Nepal Army contre les peuples du Népal portées à la connaissance de la commission des Droits de l’Homme basée à Genève ont été bloquées par deux puissances ayant droit de veto au conseil de sécurité de l’ONU, les États-Unis et la Grande-Bretagne.

    L’Union indienne, qui ne siège pas au Conseil de sécurité, n’a pas ce pouvoir…

    La question des disparus et des complicités internationales dont ont profité Gyanendra et Pyar Jung Thapa, dans leur entreprise de démolition du pays, sont au centre des préoccupations népalaises.

    Les protections internationales de Gyanendra et de Pyar Jung Thapa et leur armée de 90 000 Gurkhas leur permettent, pour l’heure, d’échapper à tout châtiment.

    L’impunité dont ils bénéficient ajoute de la colère au malheur de Arti Sharma, une modeste épicière de la commune de Dhulegauda, près de Pokhara.

    Son mari a été enlevé par la police et a disparu depuis.

    « C’est vrai, mon mari, Tanka Sharma était maoïste ; est-ce une raison pour le faire disparaître ? Qu’ils me rendent son corps ou qu’ils me disent où ils l’ont enterré ! "

    La police et l’armée ne veulent pas rendre les corps ni même parler aux familles.

    Selon Ians Martins, représentant de l’ONU au Népal, "les gens arrêtés par la police et l’armée ont été tous systématiquement torturés", avant d’être, pour beaucoup, achevé d’une balle dans la tête.

    Comme le mari de Tara Adhikari, 34 ans, une pauvre paysanne de Saimaran, dans le district de Kaski. Son mari Chabi Adhikari et sa sœur, Muna, tous deux maopatis, ont été tués lors d’une rencontre "arrangée" avec la police (fake encounter) ; seul le corps de Muna a été retrouvé…

    « Les yeux bandés par un chiffon, les mains liées dans le dos par du barbelé, elle gisait recroquevillée dans un fossé ; une colonne d’insectes signalaient la blessure derrière la nuque... »

    La détermination des femmes, sœurs, frères, mères, pères, à travers tout le Népal, de faire toute la lumière sur les disparitions et leurs circonstances, aussi atroces soient-elles, est immense.

    Ce qui souligne le niveau de conscience et la politisation extrême du peuple népalais.

    Rares sont les nations frappées par autant de calamités où les habitants ne cherchent pas à fuir mais à affronter.

    Écrasés par le Talon de fer, la misère et l’oppression, les Népalais sont prêts à mourir pour un idéal d’égalité, de liberté et de justice.

    Le camarade Suraj, du district de Kaski, a 25 ans ; il se bat et vit dans la clandestinité depuis l’âge de 17 ans ; Suraj a participé à de nombreuses batailles, entre autres celle de Beni, près de Pokhara, où 64 de ses camarades sont morts au combat.

    « C’était comme au cinéma, les hélicoptères nous mitraillaient et nous leur tirions dessus. J’avais de la peine pour les camarades qui tombaient autour de moi, mais je continuais à tirer… » (…)

    « La guerre n’est qu’une étape ; nous avons partagé le malheur ensemble ; maintenant nous devons construire une société communiste pour nos enfants ».

    Suraj se souvient : traqué dans la jungle par l’armée, il était resté 8 jours sans manger avec son groupe. « À ce moment-là, ça nous semblait très difficile ; avec le recul, aujourd’hui, je trouve l’expérience enrichissante. »

    Très difficile pour sa femme, Nischal, 21 ans, d’en dire autant.

    Avec 4 de ses camarades femmes, elle fut capturée par l’armée, torturée pendant dix jours, et laissée pour morte.

    Elle ne dit pas ce qu’elle a enduré entre les mains des commandos Gurkhas. En Asie, les femmes violées ne peuvent trouver de mari et portent cette honte jusqu’au bûcher…

    « Si je ne me marie pas, qui portera les armes à la prochaine génération ? »

    Les maopatis ont révolutionné les mœurs au Népal et encouragé les mariages inter-castes parmi les veuves et les femmes blessées dans leur intimité.

    Tout ce qui n’a pas détruit les maoïstes les a renforcés.

    La prison est le passage obligé pour beaucoup d’entre eux.

    Au début mai 2006, il y a encore à la prison de Kaski Karagath de nombreux pensionnaires remuants : 14 filles et 73 garçons, tous dans leur vingt ans.

    Asha, Sharmila, Lila poursuivent un jeûne pour réclamer leur libération. Leurs faibles corps portent les stigmates de sévices, mais elles n’en parlent pas.

    Le front ceint d’un large bandeau rouge à la manière de Phoolan Devi, poings levés au-dessus de leurs têtes, elles chahutent leurs gardiens, leur promettant, s’ils ne respectent la dignité des prisonnières, le travail dans les rizières et de longs cours de rééducations communistes.

    — Pourquoi vous vous battez ? demandais-je aux trois rebelles.

    — Pour la liberté, la justice, l’égalité et la démocratie !

    — Pourquoi êtes-vous maoïstes ?

    — Parce que nous sommes nés au Népal, dans les campagnes, et que nous souhaitons la révolution mondiale !

    Lal Salaam, camarades !



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